INTRODUCTION AUX MYTHOLOGIES (1993)

MYTHOLOGIES (1988-90)

« Le mythe est une parole, tout peut être mythe. » Roland Barthes, Mythologies.

Le titre de chaque épisode est une indication éventuelle pour l’écoute. Il s’agit avant tout de créer la sensation musicale d’une attitude extérieure selon des données purement abstraites. L’équilibre qui s’opère entre image et abstraction est significative : c’est la subtilité de lecture et d’écoute qui entraîne la narrativité, la « mise en perspective » de ces épisodes. Ce choix, en forme de défi, est ce qui justifie le langage de cette œuvre, son écriture, en un mot sa mythologie.

LA COLÈRE D’ACHILLE (Mythologie I)
flûte solo, cor, cor anglais, violon
cette pièce a été écrite pour Patrice Bocquillon

I   — « Au printemps les combats reprirent »
II  — Hector défie Achille en combat singulier
III — Rien ne résiste à la colère d’Achille (Trait, pour flûte seule)
IIIbis — Les deux héros se battent sans interruption jusqu’à la nuit (Réplique, pour cor anglais, cor et violon)
IV  — Achille traverse de sa lance la poitrine d’Hector et traîne son cadavre autour de la ville

La guerre de Troie est un des moments les plus importants de la mythologie. Les épisodes choisis ici expriment à travers les affrontements — sans surprise dans ce contexte terrible — le paroxysme de la douleur. Neuf longues années de luttes ont épuisé les héros qui continuent vaillamment à se sacrifier et rien ne les détermine à cesser le combat.

Achille ne peut pardonner à Hector de lui avoir proposé de trahir les Grecs ou de tuer Ajax pour épouser Polyxène dont il est amoureux. Il doit donc lui faire face et éviter ses ruses plus ou moins délicates dans des situations toujours périlleuses. « Il  ne s'essouffle jamais » et, finalement, Hector lui demande grâce. Mais Achille n’a aucune raison de lui pardonner.

On comprendra ainsi le rapport établi entre l’instrument soliste — expression subtile de l’énergie du héros — et ceux avec lesquels il  est mis en rivalité. Comme dans Orion (Mythologie II), c’est ce déséquilibre qui est le point essentiel de l’œuvre. La colère s’exprime à travers ces actions combatives où la bravoure du protagoniste montre sa ténacité dans des situations souvent périlleuses.

ORION (Mythologie II)
clarinette sib solo, trombone, alto, harpe
cette pièce a été écrite pour Alain Damiens

I   — Orion tombe amoureux de Méropé
II  — Orion chasse les bêtes fauves de l’île de Chios
III — Œnopion crève les yeux d’Orion pendant son sommeil
IV — Orion poursuivi par le Scorpion
V  — Artémis place l’image d'Orion parmi les étoiles

Comme la plupart des légendes antiques, celle du chasseur Orion est constituée de plusieurs mythes amalgamés.

Œnopion doit donner sa fille Méropé en mariage à Orion s’il débarrasse l’île de Chios des dangereuses bêtes fauves qui l’infestent. Mais il ne tient pas sa promesse et Orion force Méropé à s’unir à lui. Pour le punir Œnopion l’aveugle après l’avoir enivré.
Dans un autre épisode Hélios lui redonne la vue et Artémis persuade Orion d’oublier sa vengeance. Cependant, Apollon, craignant que sa sœur ne soit aussi séduite, envoie un scorpion monstrueux à la poursuite d’Orion qui en réchappe par la mer. Abusée par Apollon, Artémis tue Orion puis le transforme en constellation, éternellement chassée par celle du Scorpion.

HÉLIOS (Mythologie III)
clavecin
cette œuvre est dédiée à la mémoire de Bernd Alois Zimmermann

I — Hélios traverse le ciel
II  — L’île de Rhodes
III — Actis enseigne l’astrologie aux Egyptiens
IV  — Phaéton conduit le char du soleil

La légende d’Hélios se déroule dans un climat d’insouciance et le héros vit nombre d’aventures agréables dans la plus grande des libertés. Il tire profit du rapport privilégié qu’il entretient avec Zeus, duquel, par son attitude détachée, il obtient sans effort tout ce qu’il peut désirer.

Les fils d’Hélios  héritent de leur père son ambition. Il leur inspire des vies distrayantes marquées par la profusion mais parfois sa faiblesse les entraîne à des extravagances. L’épisode audacieux de Phaéton et son insistance à vouloir montrer qu’il est le plus libre en entraînant le char d’Hélios près du soleil est un manque d’appréciation évident. Zeus ne permet à personne de jouer avec son pouvoir.

Dans ces pièces les traits superposés et les lignes contrapuntiques alternent avec des blocs d’accords. Ils s’opposent dans la lutte entre les forces mentales du héros et celles de son pouvoir physique, qu’il a tant de mal à maîtriser.

ULYSSE (Mythologie IV)
flûte, clarinette, cor, violon, violoncelle
dédié à l'Esemble Fa

I   — La caverne du Cyclope — Intermède 1 – ( S…de)
II  — Les enchantements de Circé (L’île de l'Aurore) — Intermède 2 – (c…yb)
III — Le pays des Sirènes — Intermède 3 – (yl…ar)
IV  — L’île de Calypso — Intermède 4 – (la…Ch)
V   — Le retour à Ithaque.

Les épisodes, choisis de façon arbitraire dans le mythe d’Ulysse, concernent seulement les pérégrinations dans son voyage de dix années avant son retour à Ithaque. Le passage entre chaque mouvement (ou île) se fait par des intermèdes qui reprennent toujours le même matériau de base considéré comme un élément mobile.

Cette pièce est essentiellement contrapuntique et les phrases passant d’un instrument à l’autre d’une façon virtuose en sont la caractéristique principale et le moteur. L’assemblage de tous ces éléments associés au mythe d’Ulysse marquant avant tout un intérêt personnel pour construire une forme en un seul grand mouvement que l’on traverse en affrontant des dangers continuels et parfois de terribles épreuves.

[texte de Philippe Fénelon publié dans le CD "Mythologies", Thésis THC 820 057, 1993]