LE DERNIER VOYAGE (1997)

Le jour tombe sur un royaume en ruine, dans un climat triste et peu engageant, sur un monde pourtant jusqu’ici préservé, où rien ne se passait comme ailleurs. Près d’un château entouré de forêts dont on ne voit pas la fin, un petit garçon malchanceux, témoin de drames inextricables, joue avec une balle. La monotonie de ses gestes l’ennuie; il se met à lancer sa balle d’or de plus en plus haut vers le ciel, invente un nouvel espace de jeu — qui devient sacré — en donnant des noms aux formes bizarres qui se dessinent devant les nuages, s’aveuglant aux derniers rayons de soleil pour ne pas penser aux événements terribles qu’il pressent. La balle rebondit de travers, va se nicher dans une anfractuosité d’une pierre plus lourde que tout le monde, et personne n’est là pour l’aider à la soulever. Soudain, il entend des moutons qui bêlent de façon étrange, inhabituelle. Il interrompt ses vaines recherches, se relève, s’interroge. Où vont-ils ? Où vont-ils ? Il voit le berger lancer de la terre aux animaux qui refusent d’aller à gauche, car ils ont l’habitude de rentrer au bercail par le chemin de droite. Où vont-ils ? Ce n’est pas le chemin de l’étable, répond le berger dans le lointain. L’enfant a beau le questionner encore, il ne l’entend plus. Mais, perdant brusquement toute perplexité, il comprend que ce fantôme mène les petits moutons vers un endroit inhospitalier et suppose, avec raison, qu’un crime affreux va s’y dérouler.
[…]
Un événement imprévisible se prépare. Golaud va tuer son demi-frère Pelléas, le nouveau Siegfried qui devait ouvrir la porte à une ère nouvelle et redonner de la force à ce beau royaume d’Allemonde, fierté d’un roi las de lutter dans d’interminables guerres et contre une famine qui a atteint depuis peu les environs du château. Par sa foi à la fidélité des événements, Arkel a cru que des êtres jeunes et beaux, comme Mélisande ou Pelléas, ne pouvaient créer que le bonheur et la paix. Le vieux roi s’est trompé. Incapable de contrôler la rivalité qui s’est installée entre ses deux petits-fils, découragé, Arkel, n’a plus qu’à s’enfoncer doucement dans la mort puisque les deux êtres qu’il chérissait le plus se sont affrontés comme des ennemis. Il n’aura pas la vieillesse douce et tranquille que jadis il aurait désirée. Il n’y a pas de pitié parmi les hommes mais il n’arrive peut-être pas d’événements inutiles…
[…]

in Programme pour Pelléas et Mélisande, Opéra National de Paris, 1997.