AUX CONFINS DES MYTHES (2005)

Philippe Fénelon aux confins du mythe

Philippe Fénelon place au plus haut la parole poétique des grands mythes. Ses opéras s’emparent de leur prestige littéraire pour retrouver dans cette alliance grandiose et sublime la magie d’un théâtre fabuleux. Dans un rapport intense d’intimité, le compositeur entretient un dialogue permanent avec ces strates enchevêtrées qui déferlent d’âge en âge et irriguent les langues et les cultures. A travers ses opéras, inlassablement il les interroge pour se sentir présent à la permanence de ces légendes venues des origines qui nous transmettent une vérité supérieure.

Dans la galaxie complexe des textes et le silence des mots, l’intuition du musicien saisit les échos de ces légendes inépuisables pour nous les donner à entendre. Questionner les expériences fondamentales semble comme une nécessité à sa création et, par un engagement total, l’occasion d’une conscience de soi et d’un approfondissement décisif de sa musique. En témoin de son époque, il pose ainsi la question de l’opéra comme le lieu où une évidence peut se reformer. Hier, le rêve éperdu de Don Quichotte, Le Chevalier imaginaire, le tragique Minotaure des Rois, les ombres inquiètes de Salammbô, aujourd’hui la quête de Vérité de Faust d’après Lenau, poète romantique de l’errance et du doute dont Philippe Fénelon vient d’achever la composition.

C’est parmi ces constellations, à la recherche de l’Etre que le compositeur peut exprimer dans sa plénitude l’épaisseur du monde et son surcroît d’énigme et accéder à la liberté souveraine que suscite la musique. Le lien entre l’opéra et le mythe tient à la puissance singulière de la musique et à son pouvoir mystérieux de suggérer les forces souterraines de l’existence comme de l’univers, élevant à la beauté la résolution des mouvements antagonistes qui brisent l’homme. Miroir diffracté des sentiments, miroir de notre condition, le mythe comme l’opéra, forme privilégiée de notre sensibilité musicale, montre l’homme prisonnier de ses fantômes, éclairant cette zone obscure où le caractère dominateur et violent des pulsions régit la vie traversée par le surgissement du désir et de la mort, d’Eros et de Thanatos. Guidée par les mots, la musique approfondit le réel qu’elle porte à son expression extrême, parcourant l’inertie de la langue, devenant écriture à son tour.

L’opéra, espace capté par le chant, expose l’ambivalence foncière de l’homme avec une autorité qui dissipe les leurres. Il nous ouvre une mémoire enfouie à laquelle l’émotion de la voix nous mène. L’art lyrique démasque ainsi par sa structure même le contenu latent de la psyché, ce condensé d’inconscient mythique évoqué par Pierre Jean Jouve à propos de Wozzeck d’Alban Berg. Entre mythe et opéra circule une même capacité de dévoilement de notre opacité. Car l’opéra est cette scène capitale où selon le vœu de Mallarmé, la Musique rejoint le Drame et le Théâtre dans une configuration où se réalisent les destins rehaussés à un mode de réalité transcendée. L’organisation même de l’opéra, matériau sonore et architecture musicale, nous plonge dans le trouble où pensée et révélation se conjuguent avec le soulèvement des puissances inconnues qui mobilisent l’âme. Projetant sur la scène, par un jeu de dédoublement, le spectacle de notre destinée, l’opéra fascine car ce qui est montré nous renvoie vers la fascination de notre fond nocturne.

Pour son premier opéra, créé à Paris en janvier 1992, Philippe Fénelon s’est tourné vers l’ingénieux hidalgo, ce Chevalier à la Triste Figure et son écuyer Sancho Pança, tous deux nés du génie visionnaire de Cervantès. Le compositeur a choisi d’intégrer dans son œuvre, comme prolongement du mythe, sa transformation par Kafka dans un texte de La Muraille de Chine intitulé La Vérité sur Sancho Pança dans lequel Don Quichotte serait une invention de Sancho, une projection de cet alter ego relié à son maître dans une tension dynamique représentant la division éclatée du moi qui contraint à abandonner le postulat de l’unité et de l’identité d’un sujet. Don Quichotte n’est-il pas lui-même le double incarné sur un mode burlesque des héros de romans de chevalerie ? La décision insensée de ce gentilhomme de la Manche, dont l’imagination nourrie par la lecture assidue des aventures d’Amadis de Gaule et qui croit ressusciter la chevalerie errante en courant le monde et livrer bataille à des moulins à vents, s’inscrit dans le dessein de Cervantès énoncé dans sa préface : « ruiner l’autorité et le crédit que les livres de chevalerie ont acquis parmi le commun peuple » et « faire abhorrer aux hommes ces fabuleuses et extravagantes histoires. »

Nous prenons acte du projet du compositeur pour en comprendre l’exacte portée. Derrière le masque de l’aventurier parodique se profile l’histoire d’une déchéance avec ses naïvetés et ses incohérences, celle d’une société revenue des idéologies qui ont animé le vingtième siècle, une société qui s’est trouvé confrontée à la crise de conscience d’une époque qui consacre le matérialiste triomphant et abandonne l’image de l’homme doué de raison dans un univers à sa mesure. Philippe Fénelon a un sentiment aigu de l’évolution qui s’accomplit et affecte, non seulement les formes de la musique et les fins que se donne l’opéra, mais les conditions qui peuvent accréditer dans l’esprit la haute valeur de l’acte créateur. En décidant de s’en aller « par tout le monde avec ses armes et son cheval pour chercher les aventures et s’exercer en tout ce qu’il avait lu que les chevaliers errants s’exerçaient », Don Quichotte soulève la question troublante dont Marthe Robert dans L’Ancien et le Nouveau a donné la formule : « Quelle est la place des livres dans la réalité ? En quoi leur existence importe-t-elle à la vie ? Sont-ils vrais absolument ou de façon toute relative et s’ils le sont, comment prouvent-ils leur vérité ? » Le narrateur entre dans un labyrinthe d’interrogations embarrassantes qui rendent problématique la perception d’exister. Lorsque l’expérience inflige un démenti à ses illusions, le héros s’obstine dans ses chimères, refusant de se soumettre aux décrets du réel, guidé par la logique de son rêve idéalisé, revendiquant sa singularité d’homme libre. Il nie la dualité de la réalité et sa représentation dans la fiction pour se maintenir dans l’illusion en dépit des désaveux infligés par le dehors. C’est Sancho, son serviteur, qui lui permet de s’imprégner de la richesse sensible de l’univers, menant avec Don Quichotte un dialogue qui donne présence à son maître. Dès lors s’abolit la dialectique de la confrontation de l’être et du paraître au sein d’une exigence capable de les réconcilier. La dualité première se mue ici unité complémentaire qui lie la créature à son créateur.

A la suite de Cervantès et de Kafka, le musicien s’attache à mettre cette évidence à l’épreuve dans la structure ouverte de son opéra qui ordonne les thèmes majeurs du Don Quichotte, en reprenant les épisodes emblématiques du récit. Il s’accommode de ce foisonnement multiple où les plans se chevauchent, les récits s’imbriquent, dans un jeu de reflets amplifiés qui révèle les aventures du couple immortel auquel la musique délivre un nouvel essor, en ravive les couleurs, recréant le mouvement par lequel il s’invente. Don Quichotte et Sancho évoluent dans un devenir en trompe-l’œil qui reflète les contours indécis où il est difficile de distinguer les tentations de l’artifice. Cette ambiguïté nous interpelle et le personnage nous fascine, fidèle à lui-même par la simple répétition de son ambition qui oppose son dessein à son destin. Par la manière d’affronter la duplicité de sa nature qui produit du sens, Don Quichotte est un héros pour notre temps. Le Chevalier souligne le pouvoir de l’art et ses fables mensongères, en convoquant l’imaginaire dans le réel et stigmatise l’ambiguïté des rapports entre la littérature et la vie. Le compositeur nous invite à partager ce vertige en créant Le Chevalier imaginaire, pour indiquer à travers le cheminement des personnages la valeur de vérité qui gît au fond de la musique comme le labyrinthe du cœur de chaque homme  évoqué par Julio Cortázar, dans Los Reyes.

C’est en effet le poème dramatique de l’écrivain argentin qui a fourni à Philippe Fénelon la matière du livret de son second opéra, Les Rois, qui a été représenté en création mondiale à l’Opéra National de Bordeaux en mai 2004. Autour du schéma connu du mythe de Thésée et du Minotaure, Cortázar a créé sa fable animée par « le sentiment de la liberté créatrice, ou si l’on veut, de la liberté tout court » qui requalifie la polysémie du thème et qui donne accès à une approche renouvelée de la parole archaïque des Tragiques grecs. « J’ai vu le Minotaure comme victime du pouvoir et Thésée comme le gardien et le défenseur de son pouvoir », note l’écrivain dans l’avant-propos de son livre. Cortázar poursuit sa réinterprétation de la passion ardente d’Ariane pour son demi-frère monstrueux, né des amours de la reine Pasiphaé et du Taureau blanc, et qui donne une signification inédite à la fonction du fil, destiné cette fois à transmettre au Minotaure le message d’amour et lui permettre de s’échapper du labyrinthe. Ariane, submergée par son penchant incestueux pour le Minotaure semble illuminée par sa souffrance, rivée à la douleur dévastatrice de son attente déçue. Sous la plume de Cortázar, et par la grâce exacerbée du lyrisme musical, le récit mythologique est revécu dans sa dimension signifiante qui infléchit le sens de l’énigme et lui confère une acuité reformulée. Le Minotaure refuse le combat et se laisse tuer par Thésée pour rester hors d’un monde asservi à ses pires penchants dont il juge les valeurs périmées, celles d’une humanité en perdition qui appartient à un âge révolu. Car il sait où se trouve la vérité qu’il a transmise au peuple du labyrinthe pour que renaisse une unité salvatrice. Alors que Thésée s’impose comme le défenseur de l’ordre établi qui domine par la force, parabole du règne du mal et de la terreur exercés par les pouvoirs fascistes en Amérique du Sud au cours du siècle dernier. C’est que le malheur hante le royaume de Minos depuis le jour où les puissances néfastes du dieu Poséidon ont rendu Pasiphaé captive d’un désir coupable, violant par l’adultère l’interdit de la nature. Désormais le palais de Cnossos brûle d’une flamme sombre. L’image d’effroi des apparitions de la reine sont le clair aveu de cette fatalité intolérable qui pèse comme une menace barbare et met en péril l’équilibre et l’harmonie. Comment dès lors comprendre le sens de cette malédiction ? Désirs vains, regrets, fantasmes n’ont pas épuisé leurs effets destructeurs et s’opposent avec une force égale. Minos, assailli par le doute, avoue ses angoisses car le Minotaure représente un danger pour le pouvoir absolu d’un autocrate tel que lui. C’est la raison pour laquelle il a décidé de l’enfermer dans le labyrinthe et imposer sa volonté mensongère en sa permanence trompeuse. Cependant le Minotaure continue à faire irruption sur la scène intime du roi. « Lorsque mes rêves pénètrent le labyrinthe, je m’y trouve seul et découronné et mon sceptre parfois se courbe dans ma main. » Car cette construction tortueuse inventée par Dédale qui a pour destination l’égarement, est totalement à imaginer et ses implications à découvrir comme la figure la plus énigmatique des mystères du sens, comme le lieu de la découverte d’une vérité originelle où se croisent l’un et le multiple, où se conjuguent le fini et l’infini.

En parvenant jusqu’au Minotaure, Thésée accomplit l’aventure initiatique de la traversée des apparences. Sous le pas du héros grec se découvre la force cachée de l’existence, là où s’éprouve la connaissance, là où se dévoile le secret pour aller jusqu’au bout de soi. Le labyrinthe, régi par le monstre où s’engouffre le désir à la poursuite de son ombre, est aussi la voie de l’amour, cet autre espace où s’exprime la liberté. Au moment où les murs du labyrinthe s’écroulent, s’offre à nos yeux émerveillés un royaume fondé par le Minotaure où règne la paix assurée avec vigilance et qui clame l’innocence invincible. Lorsqu’apparait cette société vivifiée, on entend les bruits d’armes des soldats de Minos qui viennent assassiner ce peuple heureux. Ainsi l’énergie destructrice se déploie pour maintenir l’ordre ancien, sanction véhémente de toute transformation sociale projetant l’ombre oraculaire de l’Histoire sur le jaillissement naissant de la cité à venir. Il n’y aura pas de nouveau monde, vérité cruelle qui rend le Minotaure si nostalgique à la fin de l’opéra qui, en mourant, demande l’oubli. Le temps qui consacrera l’union de la vertu et de la félicité semble très loin. La relation d’autorité et d’obéissance écrasera toute marche vers la lumière de la liberté. Le destin du Minotaure est rehaussé à un mode de vérité où fusionnent douleur et grandeur  pour nous offrir l’image sublimée d’un idéal à conquérir, image indestructible qui nous accomplit auquel nous relie le fil qui mène de la vie à la mort, ténu comme cette voix inconnue du réel qui s’élève de la nuit profonde des mythes.

Au rêve qui avait pris corps dans le labyrinthe de Cnossos succède, dans l’œuvre lyrique de Philippe Fénelon, l’embardée imaginaire vers la patrie oubliée de Carthage. Comme issu d’un sommeil millénaire, son opéra Salammbô fait surgir un monde disparu, fermé sur sa propre étrangeté, son poids d’horreur, sa monstruosité. Se mêlent puissamment les tonalités contrastées d’amour et de haine, les sonorités envoûtantes de la passion et de la violence dans le flamboiement d’un Orient aux couleurs empourprées où les abîmes du désir, la volupté du sang déchirent les héros.  Par la représentation, la musique confère ses effets de miroitement au génie fascinant de Carthage en ces temps de désastre et de terreur de son histoire où la rivalité des hommes et des dieux pénètre les esprits : Tanit emplit de sa clarté l’âme de la cité tandis que Moloch, dieu de la malédiction, dévore les vies de son feu impitoyable. L’écriture de Philippe Fénelon, d’élan et de fougue, rythme cette fresque, par sa couleur orchestrale unifie les données antiques, accorde la cohérence à ce réservoir d’émotions qui exalte la vie et laisse circuler un véhément réseau d’images. Ainsi, elle simplifie la turbulence des événements par des équivalents musicaux, voix et instruments, réalisant à l’opéra les deux objectifs poursuivis par Flaubert et sa quête d’harmonie des choses disparates. La musique accompagne les personnages fortement individualisés qui chutent dans l’abîme solaire et vont se perdre aux confins visionnaires de l’opéra. Chez tous la rage, la cruauté, l’horreur se doublent de perfidie, de versatilité, d’obstination, unies à une certaine ingénuité. Tous vivent livrés aux décrets d’une fatalité plus forte que la volonté, à la merci des puissances irrésistibles qui agissent sur eux. Leur être s’égare dans des sentiments indéfinissables, emportés dans un tourbillon de fureur qu’anime le mouvement enlevé des trois actes de l’opéra. Salammbô, femme fatale et enfant aux désirs incertains, meurt en proie à des pulsions antagonistes. Pétrie dès la naissance par les rites religieux, elle retourne au gouffre dont ils émanent. Les élans amoureux de Mâtho s’inversent en pulsion de mort. Les présences obscures, les intentions inconnues pèsent sur les destins et entourent cette cité peu généreuse de ses richesses dont la ruine semble inévitable et qui s’impose comme la figure allégorique d’une civilisation vouée à disparaître.

« Ressusciter Carthage ! C’est là une Thébaïde où le dégoût de la vie moderne m’a poussé », avoue Flaubert dans sa correspondance. En effet Salammbô est écrit en haine du réalisme et du réel. Par le choix du sujet, Flaubert se détourne de son siècle pour porter son regard vers l’orient antique avivé de souvenirs de voyages et de rêves et donner à son œuvre un dessin farouche et extravagant. Le romancier avoue qu’il se moque de l’archéologie. Le « modèle imaginaire […] ne doit être qu’un tremplin ». De même le compositeur et son librettiste pour susciter l’illusion et lui donner ses contours détournent le roman à des fins fonctionnelles « au service de l’intérêt dramaturgique avec une priorité absolue accordée à la voix traitée avec le plus grand respect », transforment les événements, changent la perspective en vue d’une création de notre temps qui donne la primauté à une esthétique révélatrice de l’époque. Car l’essentiel est la puissance d’une vision intérieure et personnelle qui pour créer un effet de réalité, selon le vœu de Flaubert, doit être fondateur pour le présent. Ainsi, par la contemplation des mythes, l’opéra réinvente une civilisation et, en métamorphosant les interférences de l’histoire témoigne d’une inquiétude accordée à la sensibilité du moment, hantée par les interrogations sur la mobilité du monde contemporain et ses utopies. Salammbô n’idéalise pas le passé, récuse le culte de l’humanité et l’idée de progrès, remet en question le fondement humaniste et progressiste des conceptions admises. Cette guerre pour rien n’engage pas le devenir. Elle montre que l’homme n’est pas à la mesure de l’Histoire, puisqu’en proie à une violence dévastatrice, la barbarie est obstinément présente chez les Carthaginois comme chez les Mercenaires Peut-on suggérer que l’opéra est habité par nihilisme désenchanté ? Ce qui se donne comme une évidence c’est que l’histoire est mue par une énergie terrifiante qu’aucune raison ne pourra domestiquer, une puissance aveugle qui entraîne les destins et trouve sa résolution dans l’anéantissement. Pulsion de vie et pulsion de mort poursuivent la violence terrorisante de leur rhétorique passionnée et maléfique qui détruit l’homme. Telle est la valeur symbolique des mythes qui sont au cœur de l’opéra : Tanit, déesse protectrice, et Moloch qui entretient le culte guerrier. Le dualisme des religions fournit à l’œuvre son principe de composition et donne sa dimension aux liens entre les personnages et les événements politiques, divise l’espace de la pensée et de l’action pour inscrire la confrontation de deux principes adverses. Ainsi la monstrueuse perversion qui oppose barbarie et civilisation stigmatise la tyrannie des croyances et leurs armes féroces. Le pouvoir entre les mains cupides d’ambitieux sans foi ni loi écrase sans pitié les individus, anéantit l’humanité. Salammbô donne à voir l’exaltation de sentiments troubles qui ouvrent l’abîme de l’âme humaine et la jouissance extatique que procure l’exercice du mal. Les rapports ambivalents qu’entretiennent la volupté et la mort, l’effroi et le plaisir laissent peu d’espoir à une régénération possible. Les utopies sont entachées de doute puisque le présent ne peut être racheté par l’avenir. La violence est injustifiable. Seule subsiste la force brutale irrationnelle des instincts sadiques qu’elle démasque ou exaspère.

Flaubert dénonçait ceux qui s’abandonnent au culte du progrès, qui croient à la perfectibilité de l’homme et par-delà le bien et le mal proposait une vision supérieure qui triomphe du cycle de la vie et de la mort dans les œuvres de la pensée et de l’art. L’œuvre de Philippe Fénelon s’inscrit dans cet idéal qui transcende les limites de l’homme  et sa finitude, condition préalable qui assure la permanence de la liberté et sa haute ambition. La négation même de l’humanité menace les civilisations lorsqu’elles se fondent sur la barbarie et la violence comme à Carthage ou à Cnossos.

En réécrivant l’histoire, l’opéra saisit le mythe et le restitue dans l’espace d’illusion de la scène. Emportant notre adhésion au-delà des catégories du réel, il affirme une vérité durable et son poids de sens que valide la représentation par son effet de présence. Fixés par la musique et ses vocables, le mythe se densifie, prend une grandeur tragique aux portes de l’imaginaire et du rêve pour déchiffrer l’énigme de l’existence et y inscrire une poétique moderne à l’horizon de l’opéra.

Marguerite Haladjian, in Musica falsa, Paris, 2005