LA VOIX DE L’ISPIRAZIONE (1989)

La Voix de l’Ispirazione

« si dedica alla sua arte preferita »
Dans une lueur glauque de cataclysme de démoniaques génies posent sur des piédestaux bizarres poussant des cris confus et inarticulés de leurs voix rauques et aiguës.
Rumeur terrible de la multitude comme un troupeau de centaures. Cela ne peut rimer avec celle, nocturne, des couchers de soleil. L’espace est immense, perpétuellement ouvert, toujours renouvelé sur un monde pourtant irrémédiablement clos. Tout le monde, détenus, femmes légères, soldats, policiers dansent sur un mer fatiguée où paissent des vaches-sirènes affublées de cencerros et de bouées de sauvetage.
(In Memoriam)
Sa réussite avait un parfum de décadence authentique et raffinée que personne ne semblait capable d’imiter. Telle une intouchable déesse, harnachée de colliers à plusieurs rangs, de diadèmes, d’aigrettes, entravée par des robes aux traînes interminables ruisselantes de perles blanche ou d’hermine, elle parvenait pourtant à se déplacer avec souplesse, à affronter des animaux sauvages, à conquérir les séducteurs. Elle était une star.

« un vagabondo… solitudine »
Un matin d’hiver, à sa table de travail. Il lit les journaux relatant la mort de X. et regarde les photographies d’un temps déjà lointain prises par X. lui-même en 196. sur une plage du sud. On le voit de dos. Plus tard il se lève, regarde encore les journaux puis les jette par-dessus son épaule en riant.
Ailleurs. Catalogue d’images connues. Les mots des autres. Je retrouve dans un cahier déhà ancien la copie d’une phrase de Joyce où se trouvent rapprochés les mots « vagabond » et « solitude ».
Il faudrait parler de l’effet magnifique et spécial de la pluie (le chœur sur un texte de Villanova, écrit lorsque je venais à peine de naître), noter le moment dramatique sur les mots : « Teatro, l’arte morta », ne rien écrire d’autre.
Volo di notte. Rumeur lointaine. Longues plaintes. Effleurements qui glissent sur les pages sans jamais les pénétrer. Voix unique des projets nombreux et inspirés. Vision des futurs Jerdins Intérieurs, de Délices ou de Tristesses.
Entouré de ses grands chiens blancs, vêtu de capes informes et compliquées, il se promène dans la campagne, commente un détail de la nature, un mot oublié. Son regard quitte les arbres, le rythme du ciel l’emporte comme un voilier vers des citadelles invisibles. Cela arrive comme une brise d’île inconnue…

« cantuccio dei bambini »
L’émouvantescène du lacrymae. Ombre de nostalgie. Nul autre lieu. Fixation déjà hors du temps. Le petit garçon vêtu de rouge et de blanc joue trois notes de trompette et, de façon secrète, devient œuvre lui-même. Comme un refrain ou plutôt une complainte la mélodie se greffe en nous jusqu’à l’obsession. Puis revient le chemin de l’attente.
C’est là qu’est l’empreinte,
le secret
de l’(: —)
Ispirazione.
Sí.

L’Ispirazione est un mélodrame en trois actes du compositeur italien Sylvano Bussotti, né en 1931. Il a été créé le 26 mai 1988 au 51e Mai Musical de Florence.
Ces trois poèmes sont dédiés à Sylvano Bussotti.

in Polyphonies n°9, Paris, 1989.