LE MUSICIEN ET LA MUSIQUE (2003)
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Dans un petit livre de remarques sur le traité de Berlioz , Richard Strauss, pourtant si avare d’éloges, précise que, même s’il y a eu une évolution technique naturelle des instruments, l’influence de cet ouvrage — plein de « prévisions géniales dont les partitions de Wagner constituent l’évidente réalisation » —, a été importante. Sur le modèle de Berlioz, le compositeur du Chevalier à la rose tire à son tour la plupart des exemples… de ses propres ouvrages. Strauss vante l’imagination d’une orchestration nouvelle pour l’époque de Berlioz, loue les mélanges étonnants pour colorer l’orchestre, insiste sur le fait que chaque œuvre possède sa combinaison instrumentale propre et son style orchestral particulier. Le but de Berlioz était « d’étudier les instruments employés dans la musique moderne, en cherchant à découvrir d’après quelles lois on peut établir entre eux d’harmonieuses sympathies, de saisissants contrastes. » Pour Strauss, c’est Berlioz qui, le premier, a abordé l’esthétique de la technique orchestrale, et sa clairvoyance le conduisit à puiser logiquement son inspiration dans l’âme même des instruments.
Sifflé et tourné en ridicule, il fallait avoir une grande force d’âme pour surmonter les sarcasmes, les médiocrités d’un public hostile et les reproches d’adversaires jaloux. Toutes les remarques cherchant à diminuer l’édifice construit par le compositeur ramènent pourtant les auteurs des critiques à des Bouvard et Pécuchet de la musique . Trop grande masse d’instruments, recherche d’effets de musique imitative, dédain des règles, manque d’unité dans la forme, antipathie pour l’accord parfait, programmes prétentieux… Tout est reproché à Berlioz, sans discernement, tout simplement parce qu’il s’éloigne des classiques, du parfait Beethoven, conçoit des formes impures, imagine des utopies, pose comme principe son excentricité. La voie originale qu’il avait trouvée dans un genre intermédiaire entre l’opéra, le mélodrame et la symphonie servit de cadre à ces tableaux musicaux gigantesques auxquels il eut le mérite de s’affronter. Il se mit constamment en danger pour pouvoir faire fonctionner cette musique que personne avant lui n’avait bousculée de la sorte : un style étrange pour une cantate de concours, Sardanapale, qui lui permettrait d’aller à la Villa Médicis ; une musique « grandiose, bruyante à l’excès », du genre « colossal » pour une messe de Requiem — exécutée pour le service mortuaire en mémoire des soldats morts à l’assaut de Constantine —, qui avait provoqué l’étonnement ; plus d’un millier d’exécutants pour le « monstrueux » concert donné dans le bâtiment de l’Exposition de l’Industrie. Individualiste mais à la fois sensible aux grandes cantates officielles et aux honneurs, qui le menèrent à l’Institut, Berlioz montre aussi ses intentions burlesques — l’Amen fugato de La Damnation de Faust —, attire l’attention sur des effets non académiques dans un style qui peut exaspérer. De nombreuses pages sont pourtant de réels chefs-d’œuvre — Le Spectre de la Rose dans Les Nuits d’Été… —, et confirment l’inventivité dans la ligne mélodique et un diatonisme jusque-là inexploités.
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in Programme pour Les Troyens, Théâtre du Châtelet, Paris, 2003