POURQUOI NOUS AIMERONS TOUJOURS TRISTAN (2005)
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Dans Tristan et Isolde, Wagner développe une gradation de l’expression. En trouvant des mélanges appropriés, il invite à s’abandonner aux curiosités et aux spéculations d’un univers sonore particulier. Dès les premiers sons du prélude, une émotion unique de tendresse et de pureté se dégage. Par l’instabilité de l’accord initial, Wagner propose d’emblée une intériorité de sens qu’il rend subtilement visible. Les harmonies mises en marche, évocatrices d’images, deviennent alors les nôtres. Notre sensibilité et notre imagination vibrent devant cette traduction de l’invisible. En opposant l’ombre et la lumière par l’harmonie et la dissonance de ces mesures originelles, le compositeur met en forme un langage extrême. Dans ce drame de passion et de douleur, le partage intime de la souffrance de Tristan, à laquelle sa nature l’a condamné, nous fait aspirer à la luminosité de l’amour contrarié.
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Toute la partition est un condensé de l’histoire de la musique jusqu’à Wagner lui-même. Si l’on repère dans quelque polyphonie à quatre parties les profondeurs expressives de Palestrina, l’accord fondamental est issu directement de cette musique sacrée dont le caractère est accentué par une succession d’harmonies nouvelles. Pour écrire une œuvre aussi dense, les sources d’inspiration du compositeur sont nombreuses. Ainsi Wagner rejoint-il les solitaires que sont Mozart et Gluck en associant poésie dramatique et musique, ce qui est primordial pour l’évolution de son art. L’héritage mozartien est montré dans la simplicité de l’instinct mélodique ou dans l’expressivité extrême d’une musique qui, par un ensemble d’effets contrastés de l’orchestre, dévoile une émotion sans mélancolie, comme la force grandiose de la tragédie dans laquelle nous avons pénétré. Et même si le perfide Berlioz trouvait des réminiscences de Boieldieu dans la musique de Wagner, ce dernier affirme que « l’art est de source divine », en ajoutant à son raisonnement : « Je crois en Dieu, en Mozart et en Beethoven »…
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À l’instar de Baudelaire écrivant dans son célèbre article « cette musique était la mienne », nous reconnaissons dans Tristan et Isolde notre propre capacité à aimer ce que nous entendons. Ce monde de formes dans lequel nous entrons exprime une énergie frémissante, une impatience qui nous engage spirituellement. Les contradictions de la vie composent une œuvre en accord avec cette douleur ainsi exposée et les âmes des auditeurs, s’échappant dans des sphères où les amants se seront retrouvés, sans pessimisme, se penchent enfin sur l’essence mystérieuse des choses.
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in Tristan et Isolde à l'aube du XXIe siècle, Labor et Fides, Genève, 2005.